Fol et furieuse
réflexions, outils, partage autour de l'abolition de la psychiatrie, le validisme, les outils alternatives, la libération folle et antivalidiste
Suicide assisté : un suicide ?, différence antivalidisme/réactionnaire, enjeu individuel vs collectif
Categories: antivalidisme

Quelques points que j’ai moins vus et que je trouve important de développer sur ce projet de loi sur le suicide assisté.

Pour des ressources complémentaires sur le sujet, il y a une liste de liens tenus à jour ici : https://linktr.ee/viedigne ((juste, j’aime pas trop mobiliser le concept de « dignité » personnellement))

Est-ce que c’est un suicide ? Et à quel point on est nuls sur le sujet du suicide

Je fais exprès de parler de suicide assisté quand le gouvernement insiste depuis le début pour ne parler que d’ « aide active à mourir ».
Et des députés de gauche viennent de confirmer qu’ils préféraient aussi ce terme. Il a été dit que c’est « indigne » d’utiliser le terme suicide alors que l’aide à mourir c’est « pour quand la vie est devenue trop difficile et que c’est un choix intime, personnel » ((intervention de Sandrine Rousseau, EELV, le 6 juin, clip ici)). Je vois pas en quoi ça colle pas à une définition qui pourrait être faite d’un suicide personnellement…

J’y vois du sanisme, l’idée qu’être suicidaire ce serait forcément être dans le tort sur l’analyse de sa situation, que c’est pas vraiment trop difficile, parce que la chimie de son corps est détraquée ou je ne sais trop quoi. Mais aussi du validisme avec cette représentation que la vie de la personne dépendante est misérable, indigne((dit par le député LFI Hadrien Clouet, ici)) et on ne peut rien faire pour elle… Pour elle, quand on est validiste on juge que c’est raisonnable et sain de choisir le suicide.  (et ce serait absolument pas politique de juger que ce qui est sain ?((la réflexion générale sur le côté politique de la médecine, du concept de santé etc. est de niche et peu écoutée. On en trouve quand même (mais parfois pas assez large, j’avoue mais on a quand même beaucoup de taf, je me dis que ça va venir) dans les cercles antipsy (sanisme c’est pour le « sain d’esprit), antivalidistes, sur l’autodéfense sanitaire, contre la grossophobie, dans les luttes intersexes, trans etc.))).
D’un côté, on propose à des personnes « trop dépendantes » le suicide assisté avant même de proposer des solutions pour améliorer leur condition (même s’il y avait le budget pour les maisons d’accompagnement c’est de l’institutionnalisation, tout ce que les militants antivalidistes dénoncent) et lutté contre le validisme. De l’autre, on continue à aller jusqu’à enfermer (parfois pendant des années) des suicidaires, les attacher à un lit, les mettre à l’isolement, leur imposer des médicaments etc. Rien ne va.

Et donc on ne parle pas du fait que le suicide assisté ou le suicide pas validé est un choix contraint. Entre des options limitées alors qu’on pourrait proposer des options beaucoup plus désirables et avoir un autre regard sur la fin de vie. Dans les deux cas, il n’y a pas d’écoute et d’aide. De : comment on aide à vivre ? Comment notre société peut l’aider ? On change quoi ? Regardez toutes les revendications antivalidistes, ou des luttes : on a clairement pas tout fait. Notre système écrase les gens et tant qu’on reste dans un monde capitaliste, productiviste, raciste, patriarcal etc. on continuera à avoir des hiérarchies où on dévalorise des vies, on va même jusqu’à penser que des morts sont bonnes.
Ca veut dire quoi prioriser une loi sur la mort dans ce contexte ? Mettre le budget sur la mort alors qu’on le baisse partout ailleurs ?

Je pense qu’à côté de ça il faut aussi avoir des réflexions sur le suicide, à un large niveau. Arrêter de juste rediriger vers la psychiatrie comme si ce n’était que médical. La politique actuelle, les discours médiatiques etc. c’est juste ça ((c’est aussi ce qui est appuyé dans les formations aux premiers secours en santé mentale qui sont en train d’être déployés. Formations obtenues par des associations gestionnaires du secteur du handicap psy qui les dispensent et ont donc ont créé une nouvelle source de revenus pour eux)). Et personne se questionne quand lorsqu’on parle de prévention du suicide on fait que partager un/des numéro(s) d’appel… Alors que tant de luttes disent « nos oppressions nous tuent par suicide »((je continue à dire que c’est pas une bonne stratégie si vous avez pas de discours sur ce qu’est et fait la psychiatrie à côté. C’est un outil de contrôle depuis le début, aux côtés de la police et la justice, elle a renforcé et maintenu les oppressions et elle va rester au service des dominantEs, on se tape régulièrement des assaults à coup de psychiatrie : actuellement pour les mineurs trans, l' »aliénation parentale », l’hystérie revenu sous « borderline », l’individualisation de comportement oppressifs dus à des oppressions systémiques…)) et que la vraie prévention ce serait de se bouger sur ces sujets.
On est nuls, on ne réduit rien (au contraire, ça empire avec les oppressions), et pire on violente les gens encore plus. La psy ne prévient pas grand-chose, ne fournit que des médocs et des lieux où on vous empêche de crever, quitte à vous retirer toute autonomie corporelle. Si vous n’êtes pas d’accord avec ses méthodes, elle vous enferme, vous considère comme inapte à choisir/parler/réfléchir sur vous et impose des « soins » (et sa manière de faire infuse dans toute la société). On pourrait faire tellement mieux si on sortait du modèle psychiatrique…

Les anglophones qui y réfléchissent notamment, parlent de « suicidism » pour trouver une approche non oppressive sur le sujet. Si vous cherchez, il y a des blogs/threads/livres… Des collectifs comme Alternatives to Suicides (Alt2Su). C’est aussi un sujet qui est discuté dans des collectifs de psychiatriséEs, antipsy ou non. Ici des zines en français sur l’envie de mourir, l’aide aux amiEs suicidaires, la « dépression » etc. : https://drive.proton.me/urls/MBAX73PX2G#HHzZnv5zeT31  (ça méritera un autre article pour développer le sujet)

On reste très à la marge quand on réfléchit à ça en France, et on est loin de répondre à tout, ça prend du temps à décortiquer, on a besoin que ce soit plus large, et il n’y a pas qu’un suicide. Mais on pourrait déjà faire bien mieux si on s’engageait là-dedans…
Et ça apporterait beaucoup au débat sur le suicide assisté, et la compréhension des enjeux antivalidistes.

« dans mon monde idéal, on a cette autonomie corporelle » : rappel du contexte

Cette politique arrive dans un moment où voit la fascisation, la pauvreté et même l’extrême-pauvreté exploser, la dégradation du service public de la santé, les baisses du budget pour celui-ci comme pour le handicap, le Covid contre lequel il n’y a quasi plus rien alors que les infections et les covid long continuent, le fait qu’on entend parler d’une possible suppression de certaines ALD((Le dispositif Affection longue durée (ALD) « concerne une maladie dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessite un traitement prolongé et permet que les frais de santé liés à la maladie soient pris en charge au maximum remboursable par la Sécurité sociale et/ou de bénéficier d’un arrêt maladie de plus de 6 mois et de la prise en charge des transports ». Si on les retire à certaines personnes, elles ne seront pas en mesure de payer leurs soins ou de prendre le repos nécessaire au soin)), de plus en plus de personnes qui ne parviennent pas à se loger, le travail qui broie de plus en plus (créant de la maladie, du handicap, mais aussi tuant((Deux personnes meurent directement au travail par jour, en France. C’est sans compter les morts vues comme moins directes))), le gouvernement qui fait tout pour empêcher les arrêts maladie/faire travailler plus, plus longtemps, en augmentant les dépenses de santé de la poche du malade, sans laisser le temps de trouver un taf où on pourra survivre quand on y est obligé, avec notamment le fait que tous les dossiers des handis vont être directement transmis à France Travail (qui se prononcera sur leur orientation), que c’est de plus en plus dur d’avoir des aides sociales de plus en plus basses… 

Ceci vient s’ajouter au validisme déjà bien installé, avec sa dévalorisation des personnes hors de la norme valide. Validisme qui en est toujours à ne pas être reconnu par beaucoup (la précédente ministre du handicap avait dit que ça n’existait pas) alors qu’il suffit de suivre ce projet de loi pour voir l’accumulation de discours et raisonnements validistes. Cela alors que les handicides sont relativement courants : il n’y a pas de suivi sur le sujet mais, par exemple, depuis le début de l’année, il y a eu 2 cas médiatisés de pères ayant tué leur fille handicapée ((je recommande pas les articles mais pour les références : ici et )). Entre ces deux meurtres, France 2 a diffusé le téléfilm Tu ne tueras point, dont le scenario est une défense (le personnage principal est un avocat) des parents tuant leurs enfants autistes (plus d’infos ici).

On ne peut pas raisonner dans un monde idéal alors qu’il ne l’est pas, encore plus avec un tel écart.

Et pour l' »autonomie corporelle »: le choix est contraint. On est en train de dire à une personne « crève ou soit maltraitée ».

Les positions radicalement différentes entre les antivalidistes et les réactionnaires sur cette loi

C’est important d’être vigilants dans nos arguments pour ne pas ouvrir des portes aux idées réactionnaires (ou blesser les adelphes, détériorer leur condition), les pentes glissantes ne sont pas loin et la question de l’autonomie corporelle et l’autodétermination est centrale aujourd’hui, pour les handis et d’autres.
Je commence à voir aussi des pro-vie brandir les handicapés à protéger comme un énième argument, mais en retirant tout aspect gênant pour elleux, en maintenant leur approche du handicap via la vision caritative, et elle aussi dévalorisante. Donc je pense que c’est bien de réaffirmer nos différences.
J’ai tenté une liste (sans doute incomplète et perfectible) :
– On parle de validisme, de nos conditions de vie, on pointe le contexte où nous n’avons pas accès à nos droits et où ils sont insuffisants, où nos vies sont dévalorisées. On parle en tant que personnes malades, handicapées, dépendantes, dont beaucoup pourraient être inclus dans la loi ou ses futures itérations.
– nous défendons l’autonomie corporelle, rappelant qu’un choix n’est effectif que si c’est un vrai choix. L’autonomie corporelle concerne aussi les personnes trans, les personnes intersexes, tox… Se battre pour ça c’est être allié de ces luttes.
– nous rappelons le fort racisme qu’il y a eu dans la version canadienne du suicide assisté.
– nous considérons que les soignants, les familles, la religion ou toute personne non concernée, n’a pas a faire passer son ressenti comme argument. Qu’il n’y a pas de jugement à avoir sur le suicide en lui-même mais que l’action qu’on fait face à l’envie de mourir à un sens 
– nous nous opposons à l’acharnement dans les soins. Que ce soit pour maintenir une personne en vie sans son consentement ou pour normaliser son corps dans des normes de validité, la rendre plus productive…
– nous nous opposons aux soins sans consentement et dénonçons les « soins » sous contrainte que sont l‘internement, la contention et le placement à l’isolement. Nous voulons en parler avant toute chose, parler de ses causes, des alternatives, des nuances…
– notre position changera peut-être avec le contexte

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